YouTube modère sa modération : la voie ouverte à la désinformation

YouTube modère sa modération : la voie ouverte à la désinformation

Alors que les fake news, les thèses complotistes et les discours haineux se multiplient sur Internet, YouTube a décidé d'assouplir sa politique de modération. Une décision politique qui ouvre la porte aux pires dérives.

Internet représente une immense source de savoir accessible en quelques clics seulement. Toutefois, face à la quantité de sources disponibles, on peut vite se retrouver perdu et avoir du mal à déterminer les données fiables et pertinentes. D'autant plus que certains acteurs jouent là-dessus afin de propager des fake news et des propos haineux et discriminants. C'est pour cela que la modération des plateformes est essentielle. Mais cela est loin de plaire à tout le monde, et nous assistons à une inquiétante régression sur ce plan-là.

D'après une enquête du notre articleau nom de l'intérêt public et de la sacro-sainte liberté d'expression.

Modération de YouTube : privilégier les vidéos "d'intérêt public"

Contrairement à Meta, l'annonce ne s'est pas faite en grandes pompes, au contraire. D'après les informations du New York Times, la plateforme a discrètement demandé à ses modérateurs, en interne, de tolérer davantage de contenus à condition qu'ils soient "d'intérêt public" – un terme relativement vague –, c'est-à-dire si les créateurs discutent ou débattent d'élections, d'idéologies, de mouvements sociaux, de race, de genre, de sexualité, d'avortement, d'immigration, de censure et d'autres questions politiques, sociales ou culturelles.

Auparavant, les règles de modération de YouTube prévoyaient qu'une vidéo portant sur un de ces sujets devait être supprimée si au moins 25 % de son contenu enfreignait les règles. Désormais, le seuil se porte à 50 %, ce qui rend sa suppression beaucoup plus difficile. De plus, lorsque les employés sont chargés d'arbitrer entre la liberté d'expression et le risque potentiel lié à un contenu, il est désormais préférable d'opter pour le maintien en ligne. S'ils ont des doutes quant à l'adéquation d'une vidéo, ils sont encouragés à demander l'avis de leurs supérieurs plutôt que de la supprimer.

Mais alors, qu'est-ce que ça donne concrètement ? YouTube a pris l'exemple d'une vidéo intitulée "RFK Jr. Delivers SLEDGEHAMMER Blows to Gene-Altering JABS" relayant – à tort – que les vaccins contre le Covid modifieraient les gènes. Les modérateurs ont décidé de la maintenir, car "l'intérêt public dée le risque de préjudice" — elle a toutefois été supprimée sans explication officielle. De même, certains contenus comprenant des propos injurieux envers les personnes transgenres ou évoquant une décapitation pour  l'ancien président sud-coréen Yoon Suk Yeol ont été exemptés de modération.

© Tverdokhlib - Adobe Stock

Modération de YouTube : une décision opportuniste et politique ?

Interrogée par le New York Times sur cette nouvelle politique et la notion d'intérêt général, Nicole Bell, la porte-parole de YouTube, a indiqué que les membres de l'entreprise sont "conscients que la définition de l''intérêt public' est en constante évolution, nous mettons à jour nos directives concernant ces exceptions afin de refléter les nouveaux types de discussions que nous observons aujourd'hui sur la plateforme". Elle assure cependant que leur "objectif reste le même : protéger la liberté d'expression sur YouTube tout en limitant les préjudices graves". Mais tout le monde ne semble pas de cet avis.

"Ce que nous voyons, c'est une course rapide vers le bas", déplore Imran Ahmed, le directeur général du Centre de lutte contre la haine numérique, qui étudie la désinformation et les discours haineux. "Les changements profitent aux entreprises en réduisant les coûts de modération du contenu, tout en conservant plus de contenu en ligne pour l'engagement des utilisateurs. Il ne s'agit pas de la liberté d'expression. Il s'agit de publicité, d'amplification et, en fin de compte, de profits."

Ces nouvelles exemptions sur YouTube devraient particulièrement bénéficier aux commentateurs politiques, dont les longues vidéos mélangent couverture médiatique, opinions et affirmations, alors que la plateforme est un distributeur de premier plan de podcasts. Or, elles s'inscrivent dans un contexte politique particulier, alors que Google multiplie les appels du pied à Donald Trump, grand critique des vérificateurs de l'information et propagateur de fake news, depuis la réélection de ce dernier. L'entreprise a notamment mis fin à ses programmes pour la diversité, transformé le "Golfe du Mexique" en "Golfe d'Amérique" sur ses cartes, et supprimé des commémorations importantes de son calendrier, comme le mois des fiertés LGBTQ+ en juin et le Mois de l'histoire des Noirs en février (voir notre article).